L’atelier Boussole a été conçu par Caroline Laub-Halfen et moi-même après la lecture des livre « Où atterrir ? » de Bruno Latour et « Le champignon de la fin du Monde » de Anna Lowenhaupt Tsing. Elle invite les participants à relever sur post-it ce qui caractérise notre monde actuel et à le placer sur une boussole comportant quatre axes coupés par quatre cercles, support pour ouvrir des débats entre les participants.
Les axes de la Boussole
Les quatres axes :
- Mondialisation
- Local
- Hors-Sol
- Terrestre
Les cercles représentent les sphères du développement durable :
- La sphère écologique ou environnement représente la planète que nous habitons; le vivant.
- La sphère sociale ou Société représente l’ensemble des humains qui habitent cette planète et qui sont une partie du vivant.
- La sphère Economie représente le système que les hommes ont construit pour subvenir à leurs besoins.
- Nous avons ajouté une sphère Technologies pour représenter les outils sur lesquels s’appuie l’économie.
Sa présentation détaillée
L’idée de progrès repose sur le postulat que l’histoire a un sens. Au début du XVIIe siècle, l’Anglais Bacon puis le Français Descartes sont les premiers à formaliser cette idée de progrès : ils l’assimilent à la capacité des hommes de connaître la nature (par la science), de la façonner, puis finalement, de s’en rendre « comme maîtres et possesseurs ». « Le progrès » tend ainsi à se substituer à « la providence ».
Au 20e siècle le progrès se caractérise dans les pays occidentaux par une idée de modernisation qui va de pair avec la mondialisation. Voici ce qu’en dit Bruno Latour : « C’est vers le Globe avec un grand G que tout se mettait en mouvement, celui qui dessinait l’horizon à la fois scientifique, économique, moral, le Globe de la mondialisation. Repère à la fois spatial et temporel, la flèche du temps lancé vers l’avenir. Ce Globe qui a enthousiasmé des générations parce qu’il était synonyme de richesse, d’émancipation, de connaissance et d’accès à une vie confortable (…)
La flèche du temps allait quelque part. Un tel repérage était d’autant plus facile que c’est sur ce vecteur que l’on avait projeté la différence Gauche/Droite aujourd’hui mise en question.
Si l’on parlait d’économie, par exemple, il y avait une droite qui voulait aller toujours plus loin vers le Global alors qu’il y avait une Gauche (mais aussi une Droite plus timide) qui aurait souhaité limiter, ralentir, protéger les plus faibles contre les forces du Marché. (…)
Inversement, si l’on parlait de « libération des mœurs » et, plus précisément de questions sexuelles, on trouvait une Gauche qui voulait aller toujours plus loin vers le Global, alors qu’il y avait une Droite (mais aussi une Gauche) qui refusait fortement de se laisser entrainer sur cette « pente glissante ». (…) »
La mondialisation que Bruno Latour appelle le Global est le 1e axe de la boussole, celui qui va vers le haut.
Cette flèche du progrès qui nous façonne a rencontré une opposition. Voici ce qu’en dit Bruno Latour : « Il y avait bien des protestataires, mais ils se trouvaient de l’autre côté du front de modernisation. Ils étaient les archaïques, les vaincus, les colonisés, les dominés, les exclus. Grace à cette pierre de touche on pouvait, sans risque de se tromper, les traiter de réactionnaires, en tous cas, d’antimodernes ou de laissés pour compte.
L’injonction à nous moderniser nous préparait à tous les sacrifices, à quitter notre province natale, à abandonner nos traditions, à rompre avec nos habitudes, si nous voulions « aller de l’avant », participer au mouvement général de développement et, en fin de compte, profiter du monde. (…) »
Cette mondialisation était perçue par certains comme la porte ouverte à un melting pot dans lequel nous risquions de perdre notre identité. Cette opposition pour se défendre contre ce danger, se caractérisait par un repli sur soi et sur les traditions, etc.
Le Local ainsi défini est le 2e axe de la boussole, celui qui va vers le bas.
On sait aujourd’hui que la mondialisation s’est faite avec un mode de développement qui détruit les ressources nécessaires à la construction de cette vie confortable à laquelle nous aspirons. Anna Tsing nous dit : « Le climat du monde est détraqué et le progrès industriel a prouvé qu’il était bien plus mortel pour la vie sur terre que tout ce qu’on pouvait imaginer il y a encore un siècle. Le progrès donnait du cœur au ventre ; le meilleur était toujours à venir (…) mais le progrès a cessé de faire sens. »
Cette précarité, c’est-à-dire, selon la définition proposée par Wikipédia, cette forte incertitude de conserver ou récupérer une situation acceptable dans un avenir proche, concerne maintenant toute l’humanité.
Les forêts de l’Orégon, qui accueillaient autrefois une activité forestière florissante sont aujourd’hui couvertes de pins tordus, sans intérêt pour l’industrie. Ces forêts et plus largement les paysages naturels dévastés et délaissés par le capitalisme sont central dans son livre. On pourrait aussi évoquer les friches industrielles, les populations abandonnées, que ce soit dans certains quartiers de grandes villes, en milieu rural ou sur les iles du pacifique qui s’enfoncent dans la mer… Les ruines du capitalisme comme Anna Tsing les appellent nous entourent et nous enserrent de plus en plus.
La question de notre survie est posée.
Face à ce défi, Bruno Latour nous dit que les événements de l’année 2016, nous éclairent sur un nouvel axe qui se met en place, orthogonal à l’ancien qui fait converger Local et Global. Voici ce qu’il nous en dit : « (…) la décision des Etats-Unis de se retirer de l’accord sur le climat clarifie la nouvelle situation politique. Le cap ainsi proposé donne une idée si diamétralement opposée à la direction à prendre (…)
Pour bien mesurer à quel point la situation s’éclaire, il suffit d’imaginer l’état des conversations si la campagne pour le Brexit avait échoué en juin 2016 ; si Hillary Clinton avait été élue ; ou si, après son élection, Trump, ne s’était pas retiré de l’accord de Paris. On pèserait encore les bienfait et les méfaits de la mondialisation comme si le front de la modernisation était encore intact. (…)
Tout se passe comme si Trump était parvenu à repérer un nouvel attracteur. Nous n’avons pas de mal à le nommer, c’est le Hors-Sol (…)Pour la première fois, un mouvement de grande ampleur ne prétend plus affronter sérieusement les réalités géopolitiques, mais se met explicitement hors de toute contrainte, littéralement offshore – comme les paradis fiscaux. Ce qui compte avant tout, c’est de ne plus avoir à partager avec les autres un monde dont on sait qu’il ne sera plus jamais commun. Tout en maintenant l’idéal américain de la Frontière – en décollant vers l’irréalité ! »
Le Hors-sol ainsi défini est le 3e axe de la boussole, celui qui va vers la gauche.
Bruno Latour nous dit que Le cap proposé par Trump en se retirant de l’accord sur le climat, donne une idée diamétralement opposée à la direction à prendre. Qu’elle est donc cette direction qui sera notre 4e axe, partant vers la droite ? Il propose de l’appeler Terrestre et précise le défi : « Aucune société humaine, aussi sage, subtile, prudente, précautionneuse que vous l’imaginiez, n’a eu à se saisir des réactions du système terre à l’action de huit à neuf milliards d’humains. Toute la sagesse accumulée pendant dix mille ans, même si on parvenait à la retrouver, n’a jamais servi qu’à des centaines, des milliers, quelques millions d’êtres humains sur une scène plutôt stable.
On ne comprend rien au vide de la politique actuelle si l’on ne mesure pas à quel point la situation est sans précédent. De quoi sidérer en effet. »
Anna Tsing quant à elle nous invite à poser la précarité comme étant la condition de notre temps et à construire de nouvelles manières de faire-monde, de penser la possibilité de survivre de manière collaborative, en nous appuyant sur les rencontres, les enchevêtrements qui permettent les histoires et les transformations. Elle nous dit en effet que « des manières de faire-monde émergent des activités pratiques déployées pour se tenir en vie. Mais ces manières de vivre, parce qu’elles sont considérées comme n’appartenant pas à la marche du progrès, sont négligées. Pour les apercevoir nous devons regarder autour de nous plutôt qu’en avant. » et donc nous défaire de la « conviction que les humains se fabriquent à travers le progrès »
L’axe Terrestre est donc le 4e et dernier axe de la boussole, celui qui va vers la droite
A quel axe, rattacheriez-vous les mots suivants ?
Sphère du vivant
- Pas de planète B
- L’ordre naturel des choses
- La viande artificielle
- Le transhumanisme
Sphère sociale
- Fake news
- Egalité des chances
- Politique nataliste
- Le bienvivir
Sphère de l’économie
- Croissance verte
- Agroécologie paysanne
- Protectionnisme
- Startup nation
Sphère des technologies
- High-tech
- Low-tech
- Méga-constellations de satellites
- Indépendance technologique