La psychodynamique du travail – Introduction

La psychodynamique du travail est une discipline qui s’est construite dans les années 70 à l’initiative de Christophe Dejours.

Lors d’une journée de travail des accompagnateurs du programme COOP’TER, Frédérique Debout, maître de conférences en psychopathologie et psychodynamique du travail nous a proposé une introduction à la psychodynamique du travail.

Voici une synthèse de mes notes et de ce que j’en retiens. En espérant ne pas avoir fait de contre-sens, je recommande bien sûr de consulter des sources plus expertes sur ce sujet, avec par exemple cette série de courtes vidéos de Chirstophe Dejours sur youtube qui me semblent être une bonne introduction.

La psychodynamique du travail se distingue de la psychiatrie en s’intéressant, non pas au processus qui entraine la maladie, mais au processus qui permet de ne pas tomber malade. Comment font les travailleurs pour ne pas faire de burn-out ? En effet, travailler amène nécessairement à rencontrer l’échec et la souffrance « ordinaire » qui en découlent (peur, ennui, stress, pénibilité…) et qui peuvent avoir trois destins :

  • la conquête et la reconnaissance d’habiletés, source de plaisir, ce qui est recherché quand on se met au travail,
  • la mise en place de défenses individuelles ou collectives,
  • une souffrance pathogène et l’épreuve de la maladie.

Le plaisir obtenu par la conquête d’habiletés et leur reconnaissance permet un cercle vertueux de construction d’une identité professionnelle qui participe de la construction de son identité personnelle. Le travail transforme.

Mais tout ne peut pas être transformé en plaisir et pour se défendre des souffrances, se mettent en place des stratégies individuelles et/ou collectives. Ces défenses ont été révélées par Simone Weil mais aussi par des psychiatres qui ont étudié les conséquences du travail répétitif sous contrainte de temps, qui caractérise le travail à la chaine et de plus en plus de métiers aujourd’hui.

La première défense est la robotisation des corps, de la suspension de la pensée, comme Chaplin dans Les temps modernes, qui, malgré toutes les péripéties, reste concentré sur sa tâche… jusqu’à l’arrivé d’une femme dans l’atelier qui le ramène à la vie en quelque sorte, en permettant l’expression d’émotion. Cette stratégie est très coûteuse et se poursuit en général en dehors du travail, avec un processus d’auto-accélération qui amène les personnes à vivre en accéléré jusqu’au coucher ou à choisir des activités qui permettent de ne pas penser. Cette stratégie détruit la capacité même de penser et engourdit l’affectivité. On ne ressent pas la douleur ou alors trop tard, on ne sent plus les appels du corps. L’auto-accélération entraine alors des pathologies physiques.

Une autre défense individuelle est la désengagement ou la grève du zèle. Il s’agit alors de se protéger mais aussi de servir la continuité du travail, pour être capable d’y retourner.

Les stratégies collectives permettent de ne pas faire face seul à la souffrance. Elles sont souvent observées dans des milieux dangereux : pétrochimie, nucléaire… La peur saisit le corps avant qu’on en ait conscience et la stratégie est mise en place pour éviter que la peur surgisse. Il s’agit alors de réduire la perception du danger. Inversement si je montre ma peur en refusant de monter à l’échafaudage, je rappelle le danger aux autres. La stratégie collective qui se met en place va alors amener à jouer avec ce risque et parfois à l’augmenter le danger.

Ainsi, le « jeu » de sauter à cloche-pied sur une échelle posée entre deux échafaudages. Ou d’organiser le midi des repas arrosés entre moniteurs d’auto-école. Ces deux exemples ont été observés par les praticiens. Le second a amené un moniteur à expliquer que c’est « pour être en capacité de s’assoir toute la journée à la place du mort avec un conducteur qui ne sait pas conduire ». On observe ainsi des imaginaires « virils » qui se développent autour des métiers dangereux. Dans le milieu médical, d’autres stratégies sont observées et notamment de l’automédication parce que « ceux qui vont chez le médecin sont des malades, pas des soignants » ou des formes d’humour qui vont permettre de sublimer l’agressivité qu’il n’est pas permis de convoquer lors des soins quel que soit le contexte. etc.

Aussi appelées coopération défensive, ces mécanismes défensifs peuvent entrainer des postures racistes ou sexistes, des harcèlements, etc. vis-à-vis de ceux qui sont de culture professionnelle différentes, ont des rapports différents avec l’administration, etc.

Lorsque ces stratégies sont en place, elles sont difficiles à bouger.

Pour éviter des situations extrêmes, la psychodynamique du travail a permis d’identifier l’importance du processus collectif de reconnaissance des habiletés. Porté par des personnes légitimes au regard de l’œuvre commune, il s’appuie sur des jugements d’utilité et estéthique (un « beau béton ») au regard de règles métier.

Les règles métier sont très importantes pour juger d’un travail bien fait et soutenir l’identité professionnelle. L’activité de production de règles, ou « activité déontique », permet de construire au travers de délibérations :

  • des accords normatifs,
  • des règles de travail,
  • des règles métier.

L’activité déontique s’appuie sur débats de points de vue, parfois difficiles, qui permettent d’aborder tous les arguments mobilisables. Ce processus vise :

  • la conjuration de la violence dans les conflits,
  • la construction de règles reconnues par tous et dont tout le monde bénéficie,
  • un consensus
    mais prévoit des arbitrages pour prendre des décisions qui seront mises à l’épreuve du réel.

Les modes d’organisation du travail aujourd’hui individualisent le travail et réduisent très fortement voire détourne le temps de délibération. Ainsi le temps de relève entre deux équipes d’infirmières qui permettait de débattre de ce qui s’était passé pendant la journée, est aujourd’hui un temps de transmission ciblé, avec des grilles à cocher pour « dire » ce qui a été fait ou reste à faire.

La délibération doit être prescrite mais elle impose également aussi une confiance entre collègues et dans l’arbitre, et la reconnaissance de ce que peut apporter l’équipe. Cela se construit donc dans le temps. Elle s’oppose à l’évaluation individuelle qui ne reconnait pas le travail réel (qui n’existe pas hors des relations avec des collègues, clients, etc.) voire peut amener à reconnaitre la soumission y compris sur des activités qui peuvent nuire aux autres.

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